Création à l’Opéra de Lille 3 février 2021
Reprise à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet 15, 16, 17 octobre 2021
Opéra • Création (2021)
Texte et mise en scène Halory Goerger
Musique Frédéric Blondy, Arthur Lavandier
Aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale du Ministère de la Culture
avec le soutien de la SACEMProduction déléguée CNCM La Muse en Circuit
Production exécutive Le Balcon
Coproduction Opéra de Lille
Coréalisation Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Avec le soutien de la Fondation Singer-Polignac, du Fonds de Création Lyrique SACD, de la Copie Privée et d’Areitec
Projection sonore Florent Derex
Scénographie Myrtille Debièvre
Lumières Annie Leuridan
Costumes Pascale Lavandier
Création vidéo Jacques Hoepffner
La Capitaine Claire Bergerault
Claire est une sorte de Pia Klemp qui aurait mangé Carola Rackete. Problèmes psy légers. Mécano de formation, elle a brièvement été lieutenant d’un bateau de croisière de luxe, dont on devinera qu’elle l’a volontairement coulé par conviction écolo. Veut voir brûler le Vieux Monde.
La Biologiste Audrey Chen
Chen est une biologiste marine qui a obtenu son doctorat à l’université de Miami. Elle est à la fois brillante et ambitieuse, mais n’est pas une personne pratique. Son pragmatisme à l’égard des êtres vivants peut facilement être confondu avec un manque absolu d’empathie, ce qui la rend extrêmement précieuse pour Nowitz.
Une Plongeuse Isabelle Duthoit
Isabelle vient d’une famille d’agriculteurs wallons. Elle eu un métier pointu, avant. Elle a perdu mari et enfants dans un incendie, ce jour-là elle est partie sans jamais revenir, a passé ses certifications de plongée les unes après les autres, et depuis enchaine les jobs sur les plateformes pétrolières. Elle cherche le réconfort dans le silence.
L’Océanographe Han Buhrs
A lu Stevenson et Rachel Carson quand il était jeune adolescent, dans les années 50, il pensait devenir un aventurier, a étudié l’océanographie à Southampton, a été stagiaire chez Cousteau au début des années 60, s’est fait mordre la main gauche par un calamar géant qui a essayé de lui voler son donut, a récupéré le donut, n’a jamais récupéré sa main. Il est veuf et le cœur brisé. Un peu mauviette.
L’Entrepreneur Alex Nowitz
Nowitz est un entrepreneur russe. Il a, comme tous les grands malades qui aiment immodérément l’argent, un compte à régler. C’est un esprit puissant mais veule, animé par des valeurs transhumanistes. Mais il aime aussi la poésie, récite volontiers Essénine. Il a une maladie neurologique incurable qu’il espère guérir avec une espèce sous-marine hyper-rare.
La Géologue Ute Wassermann
Ute Wassermann a étudié la géologie à l’université de Göttingen et a mené parallèlement une carrière d’ingénieur du son dans le milieu de la musique expérimentale allemande. Plus oiseau que personne, il ne parle à peine mais écoute attentivement. Il a entendu quelque chose en bas, il veut savoir ce que c’était. Il a un désir de mort qui n’a pas encore été exaucé.
L’Océan Phil Minton
Orchestre Le Balcon
Direction musicale Maxime Pascal
Un oligarque finance la première colonie sous-marine de très grande profondeur. Il descend avec une équipe venue valider l’implantation. Ils prennent la température de nos rapports, en tant qu’espèce, avec le milieu aquatique. Une force venue des abysses s’oppose à leur présence. Un dialogue s’instaure.
L’opéra est construit autour de la relation entre techniques vocales étendues et stratégies de composition laissant une bonne place à l’improvisation. Il mélange abstraction et propositions mélodiques. Il vise à permettre d’apprécier les très hauts niveaux d’intensité proposés par ces vocalistes rares sur les plateaux d’opéra.
Prologue
Han Buhrs, océanographe, pleure la mort de sa femme, Susan, astronaute perdue dans l’espace. Décidé à s’enfoncer au plus profond d’une fosse subaquatique, il en cartographie le relief avec sa voix.
Acte I – la surface
Axel Zowitni, oligarque passionné par l’argent et l’océan, présente son projet de colonie subaquatique de grande profondeur. Chaque membre de l’équipe est introduit. Une tempête survient et précipite la plongée de la station, tandis que, pour lutter contre le mal de mer, chacun se donne du courage en chantant.
Acte II – la descente
La station descend calmement. Chen, la biologiste, découvre que son admiration pour les espèces sous-marines est en butte aux projets de Zowitni, son employeur, qui vise le profit davantage que le progrès scientifique. Au fur et à mesure de la descente, les « quarts » se prennent par équipe de deux. Zowitni, en grande conversation avec un actionnaire, est surpris par Wassermann.
Acte III – le fond
La station sous-marine atteint sa destination, une fosse dont l’équipage parcourt le relief à la recherche d’un site adéquat pour implanter la colonie. Wassermann, concentrée sur ses recherches, tombe en amour avec un mont hydrothermal. L’équipe, en explorant les anfractuosités, réveille une force qui sépare le groupe en deux. Wassermann, hypnotisée, disparait dans la faille, poussée par Zowitni. Les autres partent à sa recherche.
Acte IV – la lumière
Restée seule, Bergerault décide sciemment de suivre la même voie, sans que Chen puisse l’en empêcher. La biologiste accable Zowitni, qui, effrayé, remonte à la surface. Ute, Bergerault et Chen réapparaissent, transfigurées, et appellent Duthoit, qui, pensant mourir, les rejoint.
Épilogue
Buhrs, resté seul à bord, résiste à l’appel de l’océan. Il trouve néanmoins la paix dans cet ermitage forcé à bord de la station. Le relief prend la forme de sa femme et échange avec lui.
Conversation avec Frédéric Blondy, Arthur Lavandier et Halory Goerger
Frédéric Blondy, contrairement à Arthur Lavandier, Au coeur de l’océan est votre premier opéra. Pourtant, c’est vous qui êtes à l’origine de cette proposition…
Frédéric Blondy : Je n’avais jamais imaginé écrire un jour un opéra. Mais depuis longtemps, je suis avec beaucoup d’intérêt le travail de Maxime Pascal qui dirige l’ensemble Le Balcon. En 2015, sa création de La Métamorphose de Michaël Levinas m’a fait une très forte impression, en particulier la mise en scène de Nieto. S’est alors éveillée en moi l’envie de monter quelque chose qui soit plus qu’un concert : un spectacle. Le reste est une histoire de rencontres et d’affinités artistiques. J’ai fait la connaissance d’Arthur dans le cadre de ses collaborations avec Le Balcon. Je les programmais régulièrement à l’époque où je dirigeais un cycle de concerts à l’église Saint-Merri à Paris. Avec Halory, nous nous sommes rencontrés de manière totalement impromptue au Japon. Nous associer pour répondre à cette commande de l’Opéra de Lille et du Balcon est une expérience extrêmement stimulante.
Pour une création très singulière…
Arthur Lavandier : Oui, et à plusieurs titres ! D’abord parce que les six interprètes pour lesquels nous avons écrit cet opéra ne sont pas des chanteurs lyriques. Tous sont issus de la musique expérimentale et de l’improvisation. Chacun a passé sa vie à développer son propre univers, aussi bien sur le plan de l’esthétique que de la technique vocale ou corporelle. Chacun aborde la façon d’émettre le son d’une manière radicalement différente de celle des autres. La partition doit tenir compte de ces spécificités. C’est évidemment une contrainte pour le compositeur, mais c’est aussi une richesse incroyable.
Halory Goerger : D’autant plus que c’est très rare ! Les artistes que nous avons la chance de réunir ne travaillent pratiquement jamais en groupe, ce ne sont pas des chanteurs qui pratiquent le chœur. Ils travaillent en solo, parfois en duo. Mais ils ont tous été très enthousiastes à l’idée de rejoindre le projet.
Frédéric Blondy : En ce sens notre opéra est un challenge. Il repose en grande partie sur six individualités, six chanteurs qui ont des parcours de solistes, avec des techniques vocales inédites. Nous sommes partis de leurs savoir-faire individuels pour élaborer une oeuvre collective, en y ajoutant un orchestre.
Vous faites aussi coexister musique écrite et improvisation…
Frédéric Blondy : Oui, la partition combine plusieurs modes d’écriture. De la notation traditionnelle, bien sûr, mais aussi des symboles, des dessins, des mots. Ce sont des cellules d’improvisation dont les contours sont plus ou moins précisés, et à l’intérieur desquelles les interprètes doivent développer ce qui n’est pas écrit avec des notes. Ça peut être un bloc de texte qui indique au chanteur « À tel moment, tu dois faire tel mode de jeu, pendant autant de temps, etc. ».
Arthur Lavandier : Les instrumentistes aussi improvisent, que ce soient les solistes ou l’orchestre. Les improvisations de l’orchestre sont les plus cadrées, car on a besoin de certitudes sur certains passages. Mais au final, il y a très peu de partition où la musique est totalement écrite. Cette liberté dans un opéra est nouvelle pour tout le monde, et très excitante !
Frédéric Blondy : Y compris pour le chef Maxime Pascal, parce que c’est très vivant à diriger. Par exemple, certaines durées ne sont pas figées, c’est le chef qui en décide, en fonction de ce qu’il ressent sur le moment, de ce que les musiciens vont développer en improvisation.
Halory Goerger : Cette variable a d’ailleurs des répercussions sur la création lumière et la création vidéo. Comme la durée de certains passages est aléatoire, tout ce qui relève de l’éclairage et de l’image doit être créé en direct, en fonction des chanteurs et des musiciens. On travaille avec un artiste qui crée des vidéos génératives et les techniciens lumière ont en permanence les mains sur la console. C’est un travail difficile mais passionnant !
Ces chanteurs ont également la particularité d’utiliser des micros…
Arthur Lavandier : Effectivement, les chanteurs sont sonorisés, tout comme les musiciens. Et cette sonorisation est parfaitement sensible. Elle est même constitutive du langage esthétique du Balcon, et du mien. D’ailleurs les six chanteurs du casting ont tous une technique vocale qui est très souvent doublée d’une technique d’amplification, le micro fait complètement partie de leur vocabulaire. Ça donne accès à des sons que l’on n’entend habituellement pas dans une salle d’Opéra. Ça offre aussi un rapport d’hyper-proximité avec le son que je trouve très agréable.
Frédéric Blondy : Ça crée comme un effet de loupe sur certains détails qui sortent naturellement de la bouche des chanteurs. Car il faut bien préciser qu’il n’y a aucun traitement artificiel des voix, même si ça paraît incroyable tant certains sons semblent surnaturels. Nos chanteurs ont une approche très organique du son, avec une technique vocale qui engage véritablement le corps pour trouver des espaces de résonnance dans la gorge, le thorax, le nez… Ça rejoint complètement mon approche du son, où le rythme et la mélodie ne sont pas les éléments principaux. Ma démarche est avant tout plastique : j’envisage le son comme un matériau à sculpter, dans lequel je manipule la fréquence, le timbre, le grain…
Comment s’est organisé le processus créatif entre vous trois ?
Arthur Lavandier : Frédéric et moi avions déjà travaillé ensemble sur un autre projet du Balcon, C’est déjà le matin. Nous étions même trois compositeurs, et chacun de nous avait écrit une partie du spectacle. Ici on a eu un fonctionnement assez similaire, à la différence qu’il y a eu un très long travail préalable de conception et d’imagination, conjointement avec Frédéric et Halory.
Halory Goerger : Ensemble, nous avons d’abord conçu le dispositif musical, c’est-à-dire que nous avons commencé par penser à la meilleure façon de mettre en valeur ces pratiques vocales, qui sont véritablement le point de départ du projet. Et à partir de là, on a fait cohabiter nos façons d’écrire le livret et la partition, de jouer la musique et d’écrire le phénomène scénique. C’est un fonctionnement collaboratif assez inhabituel.
Arthur Lavandier : C’est vrai. Dans le domaine de l’opéra, j’ai l’habitude de recevoir un texte et de livrer ensuite ma musique au metteur en scène et au chef d’orchestre, sans qu’il y ait forcément de communication transversale entre nous. Ici, nous sommes passés tous les trois par une étape de réflexion pure, avant d’écrire quoi que ce soit. Et finalement, la collaboration dans la composition avait déjà commencé à ce moment-là, indirectement.
Frédéric Blondy : Arthur et moi avons deux façons très différentes de générer la musique. Au fur et à mesure que le travail avance, on s’envoie nos partitions et les exports audio de ce que l’on produit. Puis on en discute, on affine, on règle les voix… Nous sommes dans une discussion constante, y compris au moment des répétitions, car on va aussi retravailler parfois la composition ou les arrangements en fonction de ce que les interprètes proposent.
Halory Goerger : C’est la même chose à mon niveau : il m’arrive de réécrire des textes quand j’entends les chanteurs se les approprier et en faire quelque chose d’incroyable. D’ailleurs, ils ont dans l’ensemble un rapport très particulier au texte, habituellement ils l’intègrent très peu à leur travail, il est essentiellement improvisé. Donc je dois tenir compte de ça aussi.
Quel a été le point de départ de l’argument ?
Frédéric Blondy : Je suis fasciné par la mer depuis toujours. Petit, je rêvais de faire partie de l’équipe Cousteau. Avec l’espace, le fond de l’océan est pour moi le seul endroit où une véritable aventure est encore possible, où des choses complètement improbables restent à découvrir. Et puis transporter l’action dans un milieu radicalement différent du nôtre me semblait pertinent en écho à une musique surprenante et à des techniques vocales peu communes.
Vous avez cherché à reproduire les sons de l’océan ?
Arthur Lavandier : Non, pas du tout. Ou alors uniquement au moment de l’entrée du public. Là effectivement on utilise une bande électroacoustique qui repose sur des sons aquatiques, des bruits de vagues, de tempête, etc. Mais pour le reste, notre démarche n’est absolument pas descriptive, elle privilégie l’aspect poétique. On transpose des idées en musique. Pour autant, notre écriture n’est pas non plus purement expressionniste, car nos interprètes ont des techniques vocales qui ne se limitent pas au chant. Disons qu’on navigue entre les deux, avec des propositions parfois très réalistes, ou au contraire totalement oniriques.
Et finalement, que faut-il s’attendre à découvrir au fond de l’océan ?
Halory Goerger : Probablement rien de ce à quoi Frédéric rêvait quand il était enfant ! La rencontre se passe sur un autre plan. Le livret est assez peu didactique, je n’aime pas attaquer les choses de manière frontale. Je préfère laisser la question ouverte pour le public. Finalement l’accès au sens ne se fait pas tellement par le texte, mais plutôt par la musique, la lumière, la scénographie. Ce que trouvent les personnages en arrivant au fond de l’océan n’est jamais nommé, c’est une abstraction pure, un rapport au monde qui les satisfait et qui leur permet de se réaliser. Disons que c’est du vide dans lequel il y a de la lumière.
Arthur Lavandier : Cette oeuvre est la pièce la plus étonnante que j’aie vue de ma vie. Elle possède une force créatrice peu commune.
Frédéric Blondy : C’est une sorte d’ovni qui réunit des formes artistiques qu’on ne voit jamais sur les scènes d’Opéra.
Propos recueillis par Bruno Cappelle le 8 janvier 2021
[Extrait]
LES AQUARIUMS – TROISIÈME COMMUNION
Isabelle parle à l’animal.
Au coeur de l’océan, il y a des poissons qui ont avalé une lampe de poche,
Il y a des méduses aux filaments longs comme une autoroute,
des poulpes luminescents hermaphrodites,
des volcans qui crachent au ralenti sur des baleines qui se décomposent généreusement. Il y a au fond de ses combes, de gigantesques câbles, dans lesquels transitent nos informations hors-sujet, que les autochtones tolèrent.
Il y a dans ses failles de petits drapeaux plantés par des hommes et des femmes qui sont descendus les premiers et ne sont jamais vraiment totalement remontés.
On ne revient pas intact des abysses.
Parce qu’ils ont vu ce qu’il y avait dans les béances de cette grande masse noire.
Parce qu’ils ont caressé la peau rugueuse des tortues marines et se sont sentis cousins. Qu’ils ont sombré dans les yeux des calamars géants sans être mangés.
Parce qu’ils ont entendu la voix de la mer telle qu’elle se fait entendre quand on a vécu la connaissance par les gouffres.
Photos : JB Cagny (Opéra de Lille)