Le Balcon - Entretien avec Augustin Muller

Entretien avec Augustin Muller

Quelle a été l’idée de départ de C’est toi qui donnes le son ?

Avec Le Balcon, nous avons commencé par réfléchir à une installation. J’ai recherché dans les fonds documentaires du musée des extraits de musiciens extra-européens parlant de la musique, du rapport au son et à leurs instruments. Mon intuition était de faire vibrer les instruments de la collection, par la diffusion de la voix enregistrée de ces artistes. Le projet est ensuite devenu une partition destinée à être interprétée par les instrumentistes du Balcon, et ces idées ont évolué.

De quelle manière ?

Les musiciens n’ont pas été seulement intégrés au projet en tant qu’interprètes, mais dans la conception même de la pièce. J’ai eu le sentiment qu’il serait intéressant de les interroger et d’intégrer leurs voix au dispositif de musique électronique qui entoure le public. Il fallait le faire avec sincérité, ne pas chercher à remplacer les archives mais ajouter une dimension. Nous avons voulu mettre en valeur ce côté introspectif, qui trouve un écho dans le titre. 

Quelles autres influences t’ont marqué pour cette pièce ?

La possibilité d’accéder à la médiathèque de recherche du musée du quai Branly – Jacques Chirac m’a permis de me plonger dans les ouvrages et enregistrements de plusieurs ethnomusicologues qui ont alimenté ma réflexion et aussi donné des clefs d’écoute et d’approche. Les enregistrements et écrits de Simha Arom et Gilbert Rouget, Madeleine Leclair, Eric de Dampierre par exemple ont été des lectures et des écoutes importantes. J’ai été fasciné également par d’autres écrits, notamment Sound and Sentiment de Steven Feld. L’auteur décrit une cérémonie en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Des invités doivent interpréter un spectacle devant leurs hôtes, le but étant de les faire pleurer. L’approche de Steven Feld pour comprendre ces cérémonies a été à la fois une analyse rigoureuse du mythe sous-jacent et des structures musicales, mais aussi de lui-même composer des chants, et d’arriver finalement à faire pleurer les hôtes qui l’accueillaient. J’ai aimé cette double approche, à la fois structurée et empirique, usant de l’intellect autant que de l’affect. On pourrait aussi citer Robert P. Armstrong, qui construit une analyse des œuvres d’art du point de vue de ce qu’elles provoquent en nous. C’est un peu l’approche qui nous a guidés pour ce projet autour des instruments du musée.

Tu t’intéresses depuis longtemps, notamment avec le compositeur Pedro García-Velásquez, à l’acoustique des lieux. Comment cela a-t-il influencé ta manière de travailler sur ce projet ?

Ce qui nous a intéressés, c’est l’idée que le lieu et l’écoute nous mettent dans un état particulier. Ce n’est pas seulement l’acoustique en termes physiques, mais aussi tout ce que l’acoustique convoque dans notre mémoire intérieure de certains lieux. C’est la temporalité qui nous transforme, à condition d’adopter une attitude d’écoute à l’affût. Si nous parvenons à installer l’auditeur dans le bon état d’écoute, certaines paroles des musiciens vont être reçues très fortement. Leurs paroles, par ailleurs, nous emmènent vers le moment le plus expressif de la pièce, qui est la partie chantée.

Quelle signification cela a pour toi, de clôturer la pièce sur des chants de Hildegarde de Bingen ?

Le choix du texte et de la langue chantée était épineux ! J’ai commencé par rechercher des textes datant de l’Antiquité, des textes agnostiques. En visitant et en travaillant à de nombreuses reprises au musée, je me suis rendu compte que l’aspect spirituel ou religieux était finalement inévitable, puisque présent dans de très nombreux documents que je consultais. J’ai donc cherché une musique religieuse très ancienne, suffisamment singulière pour s’adresser à tous. Chez Hildegarde, dans ce qu’elle représente et dans sa musique il y un aspect chamanique et très direct, monodique*. Nous ne sommes pas des spécialistes de la musique ancienne et cet arrangement va donc chercher du côté bruité, coloré, de manière à ce que cela reste étrange, un peu âpre. Le personnage d’Hildegarde personnifie aussi le rôle social multiforme du musicien dans de nombreuses cultures, puisqu’elle était également abbesse, guérisseuse, pharmacologue… Elle est la figure parfaite pour compléter les mots des musiciens du Balcon.

* Monodique : qui est à une seule voix (opposé à polyphonique).