Le Balcon - Licht, un cycle de sept opéras

Licht, un cycle de sept opéras

Licht, un cycle de sept opéras | Par Laurent Feneyrou, musicologue chargé de recherches dans l’équipe Analyses des pratiques musicales (STMS / Ircam / Sorbonne Université)

Cycle de la semaine, Licht est un rituel total, en sept opéras, une magistrale somme symbolique, au-delà de toute religion, une cérémonie d’apparence ingénue, mais rigoureusement ordonnée, de sons, de mots, de gestes, de couleurs et d’objets, jusqu’à atteindre l’illumination.

Au commencement est une mélodie, une « formule », composée en 1977, enrichie l’année suivante, et qui régit tout le cycle, dont la composition occupera Stockhausen jusqu’en 2003. Vingt-cinq ans s’y cristallisent donc, synthèse d’une vie ardemment vouée à la création et s’ouvrant peu à peu en un mouvement de spirale. Depuis chacune des notes de la mélodie, l’invention, féconde, se déploie et se fait musicale, mais aussi cosmologique : dans le sillage de la pensée antique, créer, c’est construire ou reconstruire l’ordre de l’univers à travers une mystique du nombre et du son comme harmonie du monde, miroir de ses proportions parfaites.

Trois principes, immortels, trois incarnations spirituelles organisent le cycle, trois forces. Elles sont respectivement confiées à la trompette, à la clarinette et au trombone, mais aussi au ténor, à la soprano et à la basse, voire à des danseurs – à l’occasion sur échasses. Solistes ou ensembles, instrumentaux, vocaux ou chorégraphiques, tout, ici, en est une émanation. Michaël, l’archange guerrier terrassant le dragon, dont l’Indo-Iranien Mithra, l’Égyptien Thot, le Grec Hermès, les Scandinaves Thor ou Donar, mais aussi Siegfried sont des déclinaisons, règne sur une galaxie autour d’un feu central. Médiatrice, Eva oscille entre l’Esprit-Mère cosmique et la séductrice, entre Inanna, la Sumérienne, ou Marie, mère du Christ, et Aphrodite, Vénus ou Lilith. Idéaliste, fier, Lucifer, souverain déchu, est la force des opposés qui ne coïncident pas et se montre hostile à l’illusion humaine du temps, qu’il entend abolir, car l’immortalité serait propre à chacun de nous. Dès lors, la semaine se découpe ainsi : lundi est le jour d’Eva ; mardi, celui du conflit entre Michaël et Lucifer ; mercredi, celui de l’harmonie ; jeudi, celui de Michaël ; vendredi, celui de la tentation d’Eva par Lucifer ; samedi, celui de Lucifer, jour de Saturne, de la tombe et des danses de mort, quand dimanche scelle l’union mystique d’Eva et de Michaël.

« Je suis celui qui écoute », aimait à dire Stockhausen, qui savait écouter la lumière.