Le Balcon - Intentions

Intentions

Note d’intention

par Jacques Osinski, metteur en scène

Il y a quelque chose de shakespearien dans Words and Music. Un Shakespeare désossé, si j’ose dire. Je ne saurais dire exactement pourquoi mais l’œuvre me fait penser à La Tempête, sans doute parce que comme la pièce de Shakespeare – et comme toutes les pièces que j’aime – on peut la lire comme un voyage dans un cerveau, la quête d’un « moi » éclaté, déchiré. A Propsero, le magicien, Caliban (la terre) et Ariel (l’esprit) répondent de façon dérisoire et grotesque Croak (le vieillard en pantoufles) Bob (Musique) et Joe (Paroles). Croak est le roi d’un empire imaginaire et dérisoire, cette « tour » qu’il évoque fugitivement – le « château » dont rêve Pedro Garcia Velasquez. « Soyez amis » ordonne-t-il à Paroles et à Musique, Joe et Bob. Mais, comme des domestiques shakespeariens, Bob et Joe n’en font qu’à leur tête. Paroles ne peut supporter Musique : « Pitié ! (Orchestre. Plus fort.) Pitié ! (L’orchestre faiblit, se tait.) Combien de temps encore à moisir ici dans le noir ? (Avec dégoût.) Avec toi ! ». J’aime cet affrontement prosaïque des mots et de la musique. Pour les mots, la musique est du bruit. Pour la musique, les paroles sont inutiles… Pourtant, il faut les réunir, c’est l’essence de l’art, l’essence de l’opéra. À cet affrontement, Beckett ajoute encore un défi : celui-ci se passe dans le noir.

Words and Music a été écrit pour la radio. Nul spectateur pour lui à l’origine mais des auditeurs. Comment dès lors le représenter ? J’ai envie de partir du concret de ce noir, de la répugnance, de l’effroi de Joe à se retrouver enfermé dans le noir avec Bob. Surgi Croak, l’humain, leur maître pathétique.

Alors, comme dans un conte, les objets musicaux, les robots de Pedro Garcia Velasquez s’animent. Paroles et musiques s’incarnent au rythme des mouvements des pantoufles de Croak, le vieillard. La lumière naît. Beckett a beau lutter contre l’espoir, contre le rêve, celui-ci est toujours là : dans le visage brièvement évoqué de Lily, dans le mouvement qui anime Croak et fait que Paroles et Musique se mettent en marchent. Sur scène, nul décor mais la présence fantomatique et entêtante des robots musicaux de Pedro Garcia Velasquez, le corps des musiciens pour incarner la musique, et deux présences charnelles et magnétiques : celles de Jan Hammenecker pour incarner Croak et de Johan Leysen pour dire les Paroles.

Nous sommes dans un château de conte de fée, un château longtemps oublié et que l’on redécouvre comme le prince de la Belle au bois dormant. Nous sommes dans une boîte à musique. Elle tourne, à vide peut-être, comme toutes les boîtes à musique. Mais elle tourne tout de même, comme la terre tourne. On ne se lasse pas de la regarder. Alors dans la tristesse des mots assemblés comme pour rien par Beckett, surgit la musique, la beauté.